jeudi 19 février 2009

OPINION

L’EAU DU CANADA M’APPARTIENT AUSSI.

Albert Jacquard

En tant que Français, l’eau qui se trouve au Canada m’appartient. Une telle affirmation risque évidemment de soulever tout un tollé! Or, si je me considère comme un Terrien, comme un membre de l’espèce humaine, il est tout à fait légitime que je puisse prétendre à un verre d’eau puisée au Canada ou n’importe où ailleurs.

L’eau liquide est un produit extraordinaire. La nature en a fait une bonne quantité en remplissant les océans, les rivières, les nappes phréatiques. Pourtant, l’eau est rare. Elle est parfois vapeur, parfois glace. Mais l’eau liquide, c’est-à-dire la ressource H2O entre 0 et 100o C, ce n’est qu’un tout petit créneau. Et l’eau douce est encore plus rare.

Sa rareté explique sans doute que l’on soit justement en train de prévoir des guerres pour se l’approprier, alors qu’elle est la propriété de tous – ou plutôt la propriété de personne en propre - , tout comme la terre, l’air, le sous-sol.

Je dis souvent à des camarades qu’il n’y a pas de terre promise, que la terre promise est la Terre entière qui était promise à tous les hommes. Les frontières sont les cicatrices de l’histoire, et les cicatrices sont faites pour être gommées. Avec le temps, c’est la notion de pays qui va disparaître.

Parce que l’eau est une ressource rare, parce qu’elle est un bien commun, parce qu’elle appartient au patrimoine universel, elle doit être protégée au même titre que les œuvres d’art. La Joconde n’appartient pas aux Français. Elle est aussi à vous. Elle est au Louvre parce qu’elle y est bien protégée, mais elle n’est pas française. Si les Français interdisaient aux étrangers d’aller voir La Joconde, ce serait non seulement un drame, mais contre-nature.

Il faudrait donc que soit mis en place un organisme collectif de gestion de l’eau, comme l’Unesco pour les œuvres d’art, notamment. Une commission ou un gouvernement pour l’eau devrait être instauré, car des décisions collectives doivent être prises concernant cette précieuse ressource.

L’avenir n’est pas au gouvernement par pays, mais au gouvernement par problème, et si la ressource eau pose problème, une institution représentant la collectivité doit en assurer le partage et la pérennité. Il ne doit pas y avoir de commerce possible en ce qui concerne l’eau.

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Né à Lyon (France) en 1925, Albert Jacquard devient d’abord ingénieur après avoir été diplômé de l’École Polytechnique et de l’Institut de Statistiques. Titulaire d’un doctorat de génétique en 1970 e d’un doctorat en biologie humaine en 1972. Il est nommé expert en génétique auprès de l’Organisation mondiale de la santé de 1973 à 1985. Grand humaniste, ses intérêts dépassent largement les frontières politiques. Il est d’abord citoyen du monde et, en ce sens, se dit préoccupé par tout ce qui touche l’ensemble de la planète.

Revue Source. http://www.maya.cc/WebSiteBaseStructure/mainframe.htm

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