lundi 16 novembre 2009

PLAIDOYER EN FAVEUR DE LA MISE EN VALEUR DU PATRIMOINE RELIGIEUX DE BELLECHASSE

Après la côte fluviale et la forêt, le rang agricole fut le premier site de peuplement des Québécois à l’intérieur de seigneuries singulières et de cantons. Qu’il s’agisse du moulin, de la gare, du chantier, de l’usine ou de la croisée de chemins, tous ont servi de pierre angulaire aux nombreux hameaux constitués à même le sol au cours des siècles. C’est toutefois dès le départ au sein des paroisses, véritables lieux d’intégration sociale, que l’église s’érigea en maître pour forger progressivement nos cœurs de villageois.

Qui dit cœur de village dit place de l’église, en bordure d’un fleuve, d’une rivière ou au sommet d’une colline dominant le paysage avec son aire de promenade, son presbytère, son cimetière, sa chapelle funéraire, son couvent. Elle se pare fréquemment d’arbres géants qui au-delà de leur feuillage nous incitent en parallèle à suivre des yeux le mouvement vertical d’une flèche de clocher dressée comme une fusée fièrement lancée du sol à la conquête du ciel. Ciel et terre sont ici physiquement réunis par une œuvre architecturale remarquable. Que l’on soit adepte de la marche ou du vélo, navigateur ou voyageur du ciel, l’église est là, qui sert de repère. Et si les sons qui proviennent de la chambre des cloches marquent les heures du jour et nous situent dans le temps, la longue flèche métallique de sa tour qui brille sous le soleil des kilomètres à la ronde nous situe dans l’espace.

Les temps changent, l’espace se modifie, et s’il est juste et bon que la science prenne peu à peu le relais moral de la religion dans un vaste mouvement de laïcisation où l’être humain est appelé à prendre en mains son destin avec ou sans Dieu, il nous reste à voir ces lieux d’exception que sont les places de l’église comme autant de haltes conviviales où il fait bon flâner à l’abri des violences que le temps nous inflige.

Partout en Bellechasse, une vingtaine de lieux de compassion où l’on peut sans problème vivre à plein de l’intérieur la détresse, l’humiliation, la honte, la révolte et le mépris, une vingtaine de lieux où la quiétude de l’esprit et la sérénité retrouvée se mêlent à la beauté sauvage d’une nature vivifiante où le cultuel côtoie le culturel, où divertissement et plaisir des sens s’harmonisent et riment avec l’ouverture d’un esprit qui cherche à donner sens. Partout en Bellechasse une vingtaine de lieux de réflexion où l’on peut comprendre, chemin de croix faisant, que la souffrance est inhérente à la vie.

Quant aux temples eux-mêmes, qualifiés par certains de châteaux, clés de voûte de l’organisation spatiale québécoise au cœur de nos villages, ils constituent autant de musées où sont exposées, dans un univers familier, les œuvres d’une pléiade d’artistes, ceux-là mêmes qui à une époque pas si lointaine ont su trouver la pleine mesure de leur talent en architecture, sculpture, peinture, orfèvrerie, art textile, menuiserie, maçonnerie, ébénisterie, verrerie.

Ces églises sont faites sur mesure pour magnifier l’humanité en quête incessante d’identité structurante et d’absolue vérité au sein d’une nation, souveraine malgré tout, qu’on voudrait forte, intelligente, influente, pacifiante, inventive, belle et vertueuse, une nation qu’on aime imaginer au siège des Nations-Unies et qu’on découvre, à la connaître, perfectible à l’infini.

En Bellechasse, beaucoup d’efforts ont été faits et continuent de l’être pour revitaliser les places de l’église. À plusieurs endroits on a fleuri, aménagé des allées piétonnières, installé des bancs pour la détente et la contemplation, des tables pour le pique-nique et l’écriture, des jeux pour grands et moins grands. On a planté des arbres, installé des panneaux d’information historique ou des plaques commémoratives, construit des kiosques à musique, érigé des fontaines, des passerelles, des lampadaires. On travaille fort pour rendre ces lieux historiques attrayants. On a donné aux presbytères et aux couvents encore existants, qui ne servaient plus à leur fonction d’origine, des vocations autres pour ainsi leur insuffler une nouvelle vie. Les fabriciens ont réussi jusqu’ici à protéger et aménager ces lieux de mémoire que sont nos cimetières. On a également restauré l’extérieur de plusieurs bâtiments. Il est urgent qu’on s’occupe maintenant de nos intérieurs d’église pour qu’adaptés, ceux-ci puissent servir à l’ensemble de la population.

Pour mériter d’être patrimonial, l’UNESCO nous dit qu’un héritage doit profiter suffisamment aux contemporains qui le reçoivent pour que ceux-ci se sentent motivés à le transmettre aux générations futures. Or, actuellement, gérées par des catholiques pratiquants pour des catholiques pratiquants, comme ça c’est toujours fait, les églises sont ouvertes une fois la semaine, une heure ou deux, pour permettre la célébration de la messe hebdomadaire. Sauf exception, en-dehors de cela, des grandes fêtes religieuses et des services funèbres, le grand public n’y a pas accès.

Rares au Québec sont les personnes qui de nos jours profitent des églises. La plupart du temps, les portes sont fermées à double tour. Si autrefois, paroissiens et citoyens se confondaient et l’ensemble de la population tirait profit de ces lieux de culte et de leurs richesses, les pratiquants d’aujourd’hui sont en minorité. 7 à 10 % des citoyens du Québec se disent paroissiens et pratiquent encore. Il faut donc que les municipalités s’associent aux fabriques paroissiales pour gérer un bien qui, si rien n’est fait, deviendra de moins en moins public. À tout le moins, il faudra que le Conseil de fabrique tienne davantage compte des besoins du non pratiquant largement majoritaire.

L’argent de chacun et de chacune est nécessaire. Mais pourquoi des gens qui ne prient plus ou d’autres comme moi qui ne croient plus au surnaturel investiraient-ils temps et argent pour sauver un bâtiment dédié uniquement au culte?

Il faut ouvrir les églises et donner à chaque citoyen la chance d’accéder au patrimoine artistique qu’elles renferment. Il faut construire au besoin des armoires vitrées sécuritaires et bien éclairées pour exposer en permanence nos vases sacrés et autres objets d’art porteurs de signification. Il faut recruter et former des bénévoles pour qu’ils puissent protéger nos trésors, accueillir les visiteurs et les guider au besoin, les informer et les instruire. Il se fait beaucoup de bénévolat au Québec. Pourquoi bouder celui-là? Quoi de plus valorisant que transmettre ses connaissances en servant de guide dans un musée ou une maison chargée d’histoire? Les écoles doivent œuvrer dans ce sens-là. Formons des guides et des interprètes s’il le faut. Nous en avons besoin. Dotons-nous d’outils pédagogiques en complément d’ouvrages plus élaborés : des dépliants descriptifs et explicatifs avec photos, ou encore des baladeurs pour guider les visites, des jumelles pour l’observation du détail des oeuvres, de la lumière pour voir, de l’encens pour l’arôme et l’odeur, de la musique pour l’ambiance.

Il faut que les jeunes sachent. C’est aussi pour eux que nos ancêtres ont bâti et payé l’entretien de ces temples. Ce patrimoine leur appartient et ils méritent, par le seul fait d’habiter ici, qu’on leur en donne l’accès et la connaissance. Ils pourront à leur tour se l’approprier, s’en inspirer et s’en nourrir.

Conscientes de la grande valeur des espaces vitaux au cœur de leurs villages comme nous le mentionnions précédemment, les municipalités travaillent déjà depuis plusieurs années à les rendre accessibles et attrayants. Il faut accentuer ce travail, continuer à se faire plaisir en mettant notre imagination au service de la collectivité.

Il est urgent d’ouvrir toutes grandes les portes du temple à la culture. Organisons-y des réunions, des forums, des concerts, des expositions, des conférences, des débats, des séances de lecture, des « sons et lumières », des projections de documentaires sur grand écran, des témoignages, convions les artistes et les savants, nommons le patrimoine, racontons l’histoire de l’art, identifions les arbres et les fleurs qui s’y trouvent, informons sur la pierre, le bois, les oiseaux qui chantent…bref, continuons de vivre. La mort et le bonheur qui s’ensuit viendront bien assez vite. D’ici là, essayons de nous faire du bien.

Personnellement j’essaie tant bien que mal d’éviter l’immobilisme et l’ennuie qui tue. Depuis plus de trente ans, je photographie le pays et m’intéresse à son histoire. Seul et avec d’autres je cherche à saisir ce que je vois par l’image et l’écriture pour mieux comprendre, aimer et faire aimer ce que nous sommes. Si j’ai accès à la beauté du réel par l’image photographique, j’accède à sa vérité par l’écriture. À chacun sa manière de combattre la mort. À chacun ses ancrages. À chacun ses goûts, ses passions, ses plaisirs, ses façons de vivre et ses manières de faire.

Imaginons, inventons, transformons, augmentons notre qualité de vie et redonnons aux citoyens municipaux leurs espaces publics et leurs églises pour que chacun et chacune d’entre nous puisse en tout temps faire dans son patelin le plein de culture et d’air frais.

Maison de culte et de culture voilà l’avenir de nos églises.

Il est grand temps que la taxe accompagne la dîme et que la part de l’homme compose avec la part de Dieu pour que collectivement nous nous sentions à nouveau propriétaires des lieux non seulement comme paroissiens trouvant du réconfort à pratiquer sa foi par le culte mais aussi comme citoyens qui trouvent dans le patrimoine, l’histoire, la nature et la beauté des choses, une occasion rêvée de se divertir par l’art et le savoir.

Il faut conserver et protéger l’héritage mais il faut surtout travailler à son actualisation en l’adaptant sans cesse à nos besoins présents et futurs. Transformons, innovons, modernisons mais dans la continuité. Épargnons-nous la lourde tâche de devoir sans cesse repartir à zéro. L’église est là depuis des siècles. Profitons-en. Elle est actuellement sous-utilisée. Évitons de détruire ou de laisser se détruire à coup d’indifférence pour ceux qui avant nous ont trimé dur pour se doter d’un pays viable.

Comme dit la chanson, ne tuons pas la beauté du monde. Cette beauté émane de nous et elle demande sans cesse à grandir.

Travaillons à la rendre partout présente à nos yeux… et à ceux de nos enfants. Tradition et modernité se doivent de faire bon ménage car si rien n’est fait dans un avenir rapproché pour rendre nos églises accessibles, elles sont vouées et une grande partie de nous-mêmes avec elles, à une mort lente et progressive.

Paul St-Arnaud, novembre 2009.

3 commentaires:

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